Extrait
" "Ripley... ?"
(Imaginez la scène : un édénique petit déjeuner bogléen, parmi mioches et nichons.)
"Oui, m'man ?"
-Ripley, j'ai quelquechose à te dire. Tu sais ce que c'est que l'école ?"
Je me souviens parfaitement qu'en entendant le mot "école", je ressentis un curieux mélange de terreur et d'excitation. Je me demandai brièvement quelle sensation adopter comme ligne politique, mais l'habitude l'emporta et je choisis aussitôt la terreur.
"Alors, sais-tu ce que c'est l'école ?
-Non.
-Ben l'école, c'est là où tout le monde va pour apprendre."
Classieux non ? Un ange passa, qui me permit d'assimilier cette splendide information.
"Pourquoi ?" couinai-je.
Légèrement décontenancée, la maman.
"Ben, pour que tu sois capable de savoir lire et écrire comme ton père et moi."
(Douteux dans le meilleur des cas.)
"Pourquoi ?"
-Parce qu'il faut que tu saches lire et écrire quand tu seras grand... sinon personne t'aimera."
Après cette définition malthusienne, je réfléchis brièvement avant de reprendre mon numéro d'aimable chiard émerveillé enquiquinant ces malappris d'adultes avec ses questions adorablement précoces et sans réponse. Cette comédie m'avait déjà rendu maints services.
"Pourquoi ?" répétai-je.
(J'aurai sans doute pu trouver une variante.)
"Je viens de te dire pourquoi, éspèce de petit emmerdeur !"
J'essayai de rassembler mes troupes pour mener une charge de cavalerie sur le flanc de la tendresse maternelle.
"Est-ce que tu seras là, m'man ?
-Sois pas stupide. Bien sûr que je serai pas là !"
Cette réponse me vexa un peu, mais dans mon optimisme j'interprétai son côté abrupt comme un simple écran destiné à dissimuler le conflit qui ravageait sans doute le coeur maternel. J'accordais à cette pause tout le charme alangui de l'enfance, avant de bêler piteusement :
"Je crois pas que j'aie envie d'aller à l'école, m'man."
Bon dieu, jétais déjà un sombre crétin à l'époque. Car, inutile de le dire, ma chère maman réagit aussi sec et, après m'avoir botté le cul, elle me dévoila le pot aux roses.
"Très bien monsieur le têtu ! Mais fais gaffe de pas saloper ton pantalon aujourd'hui, parce que..." -elle avait eu la faiblesse de m'informer à l'avance du début de ma carrière scolaire - " ... parce que tu vas à l'école dès demain.
-Oh", fis-je assez raisonnablement."